Arts martiaux, Aiki Do : L’occulte du secret au Japon

2/6/14

ARTICLE DE DENIS THOMAS 
SOURCE AGORA VOX


En enfilant pour la première fois son kimono (Keiko Gi), le nouveau pratiquant d’arts martiaux accomplit-il le premier geste kabbalistique qui va le conduire à détenir des secrets ancestraux et jalousement gardés ou, au contraire, rejoint-il une communauté large et peu farouche à l’égard du grand public ?

Sans doute les deux, mon général. En tout cas, la réponse va varier au gré des disciplines choisies par le novice. Leur éventail va, en effet, du planétaire et olympique Judo au très confidentiel Kalaripayatt indien voire au Bartitsu, l’art martial pratiqué par le perspicace Sherlock Holmes ou à l’intellectualisé japonais Aiki Do.

Bien sûr, le nerf de la guerre demeure l’argent et les pièces vont sonner et trébucher d’autant plus fort que la pratique sera largement reconnue, poussée par de médiatiques et télévisées compétitions, grandes pourvoyeuses de lucratives licences.

A côté des « stars » que sont devenues le Judo ou le Taekwondo, les plus petites pratiques ont parfois un tantinet du mal à exister et leurs Maîtres doivent faire appel à un certain exotisme, teinté de secrets empruntés à des « philosophies » plus ou moins bien bordées, pour attirer et recruter. Manger les miettes éparses, quoi … 

Ce point n’est ni ridicule ni sans objet. A condition que le discours ne tombe pas dans l’extrémisme ou dans celui d’un gourou intraitable. 

Il convient de savoir que les arts martiaux, particulièrement les « Budô » japonais, doivent beaucoup aux secrets, aux « Himitsu ». 

Les écoles, « Ryu », ont toujours été jalouses de leurs secrets. Ceux-ci se transmettaient d’homme à homme plutôt que d’hommes à hommes. Lorsque les secrets ont commencé à prendre la forme de biens dotés d’une valeur marchande, leur prix fût élevé.

 

                             GROS SOUS

Bien souvent, on le sait, l’art devient affaire de gros sous, même si il est martial. Les plus belles histoires, lorsqu’on les creuse, perdent un peu de la pureté dont on les parait innocemment. 

Si chacun sait que le fondateur de l’Aikido, Morihei Ueshiba, fût l’élève de Takeda Sokaku, grand maître de Daito-Ryu Aiki-Jûjutsu, peu savent comment et pourquoi le terme Aiki Do naquit. 

En résumé, car il y aurait en somme un livre à pondre sur le sujet, Morihei Ueshiba a quelque peu renâclé à payer ses droits de « patente » à son professeur qui lui demandait cinq yens par élève formé par celui qui allait devenir le Fondateur de l’Aïki Do. Cette dernière pratique n’ayant pas, alors, encore trouvé son appellation définitive. Et pour cause.

 Cinq yens, montant dérisoire vous direz-vous ? Pas vraiment , car au début du 20e siècle, la somme représentait le salaire moyen perçu au Japon. 

Malgré les pressions de Takeda, celui-ci n’a pu recouvrer sa « dette ». Et ainsi l’Aïkido finit par voir le jour car il n’était plus question pour Morihei Ueshiba d’enseigner son savoir sous son nom d’origine : le Daito-Ryu. Attention : marque déposée !

L’école du Daito, au fil de l’évolution de l’Aïkido, au 20e et en ce début de 21e siècle, perdit un peu de son intérêt car pour être très efficace il peut paraître moins agréable à pratiquer, les chutes sont douloureuses voire impossibles. Le Daito-Ryu semble, du coup, moins "sportif". 

Normal, quand on sait que ses techniques sont destinées à des opérations de police (cf : accueilwww.aikidosansfrontieres.com) visant à amener le contrevenant devant la justice en état de parler mais pas forcément de faire des claquettes ni des sauts périlleux arrière.

Mais, de la même façon qu’il est intéressant de savoir le grec et le latin pour s’exprimer en bon français, il est bon de connaître les origines des Budô pour être à l’aise avec les formes modernes. Sauf à en perdre le sens.


Sans en dire mot, Morihei Ueshiba poursuivit son bonhomme de chemin. Un chemin lumineux d'ailleurs : l’Aiki Do était né. Mais le Daito-Ryu n’était pas mort : Il vivait aussi avec Ueshiba, mais ce dernier fût muet comme une carpe à ce sujet. Il formait ses premiers élèves, les meilleurs, en gardant tous les points clés. Ou plutôt sous clé.

                           ANTONIO VIVALDI

Résultat des courses : à la mort d’Ueshiba l’Aiki Do perdit autant de sens que la partition du printemps d’Antonio Vivaldi lorsque qu’elle est reprise dans la musique d’attente du standard de votre dentiste. 

Le « Prêtre roux » a perdu ses cheveux dans la transposition commerciale de son oeuvre. Il n’y a plus la magie du secret. 

C’est peut-être pourquoi certains, aujourd’hui, vouent un culte au secret en matière d’arts martiaux. « Si vous donnez un secret à quelqu’un qui n’en sait pas la valeur, soit il ne le comprendra pas, soit il n’en fera rien de bon », explique Satô Hideaki Sensei, expert de Daito-Ryu Aiki-Jûjutsu, élève de Chiba Tsugataka Sensei, de la lignée de Takeda Sokaku.

Traduit par le Français Olivier Gaurin, Satô Sensei alerte sur les mauvaises façons d’appréhender les secrets. Ce qu’il dit s’applique aux arts du combat mais pourrait s’appliquer tout aussi bien à la littérature, au théâtre ou bien encore à la peinture. 

« Tout secret n’est qu’une pièce d’un ensemble, une pièce indispensable de l’art, mais seulement une pièce de l’art : elle n’est pas l’ensemble de l’art », dit-il. 

Le risque alors est que la « pièce » et « l’art » soient utilisés à des fins qui ne correspondent ni à l’usage de la première ni du second. Nous nous perdons alors en vaines gesticulations.

Ensuite, relève Satô Sensei, « les secrets ne sont pas des faits ». Ils ont des « niveaux de profondeurs, de compréhension et d’importances variables » et « rien ne peut dire si un secret n’est pas encore plus subtil que ce qu’on vous en dit ou de ce que l’on en sait ». 

C’est un animal mystérieux, presque indomptable, là encore des plus dangereux si on ne le comprend pas. Et l’apprivoiser peut prendre une vie. Si toutefois on y parvient un jour …

Satô Sensei prévient : « il faut rester très humble face aux secrets » et il est donc « très difficile de les enseigner ». 

Selon cet expert résidant à Wakimachi, île de Shikoku - la plus petite et la moins peuplée des quatre qui composent l’Archipel du Japon - il n’est pas facile de partager le secret du prince. Le secret de l’art.

Pourtant, le jeu en vaut la chandelle. Selon Satô Sensei : « les secrets de l’art sont juste des clés qui permettent d’ouvrir les portes à l’art lui-même ». Ni plus, ni moins.

Peu seront à même de voir la différence entre l’imitation et l’art, poursuit-il. Ce qui présente un avantage non négligeable : comme les secrets sont invisibles, ils ne peuvent être dérobés.

Denis Thomas

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