L'aïkido, cet art martial qui amadoue les ennemis du sport

27/11/11

Article provenant du site RUE 89
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Démonstration d'aïkido à Tokyo, le 26 mai 2007 (Kim Kyung Hoon/Reuters)

Le portrait, que nous avons publié il y a quelques semaines, du philosophe de l'anti-sport, Fabien Ollier, vous a beaucoup fait réagir, souvent exaspéré. Selon lui, le sport est une pratique aliénante et productrice de fragmentation sociale, le vecteur de l'esprit du capitalisme. Dans les commentaires, plusieurs d'entre vous ont opposé un contre-exemple, l'activité physique parfaite : l'aïkido.

Pas de compétition, mixte, plaçant les forts et les faibles sur un pied d'égalité.

Comme nous écoutons toujours les grands maîtres et que Morihei Ueshiba, le fondateur de la discipline, disait que « l'aïkido ne s'explique pas, il se pratique », nous avons suivi un cours de l'association Tenchi, dans le Xe arrondissement parisien.

On peut projeter sans toucher ?

Dissipons un premier malentendu : Fabien Ollier combat le sport, l'aïkido n'en est pas un. C'est un art martial, une activité physique, qui, à l'exception d'une ou deux écoles, ne se pratique pas en compétition. Créée dans les années 40, « la voie de l'harmonie » ou « de la concordance des énergies » ou « du souffle » (le japonais est difficile à traduire) a longtemps été perçue comme une discipline mystérieuse.

Le truc à la mode chez les baba cool des seventies.

Dans ce reportage de 1964, le jeune journaliste Thierry Roland, qui devait attendre que Jean-Mimi raccroche les crampons, présente cette drôle de discipline et son inventeur, « un extraordinaire vieillard de 86 ans au visage étonnant de pureté ».

 

Quand on pose les pieds sur le tatami, ce qui saute aux yeux, c'est la belle mixité vantée par ses défenseurs. Un petit vieux pousse des « Itch » face à un black baraqué, à côté d'un chauve à lunettes ; un Chabal en moins épais fait face à une jeune femme toute menue.

Le prof se balade dans les rangs, corrige la position des pieds, rappelle que « le corps n'est pas une serpillère ». Les exercices apprennent la coordination et entraînent à l'esquive et à la chute. Les coups ne sont pas portés et les mouvements, souvent compliqués, se répètent au ralenti. On se sent bien, on est tous ensemble, on peut défier les méchants.

« Intéressant de s'exercer avec des novices »

Comme les autres, Emmanuel, le Chabal filiforme, s'exerce parfois à mains nues, parfois avec un bâton.

« Le travail se fait à deux. Pour progresser, il faut faire progresser l'autre. A tour de rôle, on est attaquant et défenseur. Pour s'améliorer en tant que défenseur, il faut que l'attaque soit bonne.

C'est presque plus intéressant pour nous de s'exercer avec des gens inexpérimentés. Ca nous force à interroger sur chaque mouvement. Et la marge de progression est la même pour chacun. On part d'un certain niveau pour en atteindre un autre. »

Pas un cours d'auto-défense

Sa partenaire, Flavia :

« C'est une discipline qui n'est pas basée sur la force. Il ne faut pas venir avec l'idée de faire de l'auto-défense. Le but, ce n'est pas d'apprendre des techniques pour les utiliser dans la vie. »

Comme le tai-chi ou le yoga, l'aïkido ne jure que par l'harmonie. Détendre l'esprit en assouplissant le corps. Et essayer de devenir plus équilibré. Bruno :

« L'aïkido, c'est apprendre à abandonner son ego et gérer sa frustration. Ne pas porter le coup, ne pas faire mal à l'autre, ne pas vouloir montrer qu'on est le meilleur. C'est un travail sur soi permanent. »

 

C'est assez amusant de voir ce qui a poussé chacun à se mettre à l'aïkido :

  • Emmanuel, ceinture noire, en fait depuis dix ans pour canaliser son agressivité. Plus jeune, il a essayé des sports de combat mais ça le rendait belliqueux ;
  • Flavia n'aime pas le sport et refuse « l'idée de s'exercer pour gagner » ;
  • Après avoir tenté le karaté et le Viet Vo Dao, Julien a choisi l'aïkido. « Quand on porte les coups, il y a quelque chose de plus réaliste mais de plus pervers aussi, de moins constructif. On a tendance à se replier sur soi, à reculer, à se planquer. Ou à écraser l'autre quand on est meilleur. Ca donne l'impression de ne pas avancer » ;
  • Au départ, le prof Julien venait juste pour boire des coups à la fin des entraînements avec ses potes qui en faisaient ;
  • Caroline a pratiqué la danse pendant vingt-cinq ans et lorsqu'elle a arrêté, elle a pris plus de plaisir à l'aïkido qu'au tai-chi.

« Parfois, ça ne se passe pas bien »

Jetons quelques tâches de peinture noire sur ce joli tableau. Ce n'est pas parce qu'il n'y a pas de combat que l'esprit de compétition disparaît. Le prof Paul Benita fait de l'aïkido depuis trente ans et il refuse d'en défendre une vision idyllique.

« Dès qu'il y a volonté de mimétisme, il y a un peu de compétition. On a toujours envie d'avoir raison. On tend vers l'harmonie mais c'est compliqué. Parfois, ça ne se passe pas bien. On a dû virer deux ou trois personnes des cours. »

Il ajoute :

« La mixité est réelle mais souvent, dans les cours privés commes les nôtres, c'est cher. C'est 450 euros à l'année, même s'il y a tout un tas de réductions. »

De même, selon Flavia, la belle parité hommes/femmes a parfois quelque chose d'un peu artificiel.

« Il ne faut pas se faire un monde idéal de la mixité. On ressent quand même une différence de statut, on n'a pas toujours envie de se mettre avec nous à l'entraînement ! »

La fascination malsaine du prof

Surtout, Paul assure que le rapport du maître à l'élève est compliqué à gérer. Celui-là même que dénonce Fabien Ollier, lui qui compare les coaches à des gourous.

« Dès qu'il y a un prof, il y a fascination. C'est ce qui nous a éloigné de notre ancien maître et c'est un truc contre lequel on bute sans arrêt. Je donne des cours depuis vingt ans et je ne sais toujours pas comment évacuer ça. »

Tous jurent que contrairement au judo, dont le fondateur a voulu qu'il devienne un sport de compétition pour toucher un plus grand public, l'aïkido restera un loisir relaxant et altruiste.

Thierry Roland concluait son reportage en citant Morihei Ueshiba :

« “ J'ai créé l'aïkido pour que tout le monde ne forme qu'un ”. Puisse-t-il être entendu dans notre monde tourmenté. »

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