Histoire du Kendo : du Japon à la France (Rediffusion)

27/8/14

Rediffusion des articles les plus populaires, durant les vacances 2014 (première parution 18/01/2012)

 

Article provenant du site Chaken.fr le kendo à Angoulême



"Le kendo est la plus ancienne, la plus respectée et la plus populaire des disciplines modernes du budo. Contrairement à d'autres disciplines modernes, le kendo ne doit pas sa présente forme standardisée aux efforts d'une seule personne, mais à l'expérience collective et à l'adresse de plusieurs. [...] Ni le kendo classique, tel qu'il fut défini et exposé par le fondateur de l'Abe ryu au XVIIe siècle, ni le kendo tel qu'il est pratiqué aujourd'hui ne sont un art de combat ni un pur sport. Les pratiquants les plus expérimentés du kendo moderne le considèrent comme étant avant tout une discipline spirituelle, mais certain des caractères inhérants au kendo le font reconnaître comme une discipline physique, un sport de combat ou d'entraînnement athlétique, voire une activité récréative." (1) Ces considérations de Donn F. DRAEGER, un des meilleurs spécialistes des arts martiaux japonais, montrent bien la difficulté pour un Occidental de saisir toute la complexité d'une discipline sportive qui plonge ses racines dans le Japon féodal.

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Le kendo (littéralement la voie du sabre, c'est-à-dire l'escrime japonaise) est en effet originaire du pays des samouraïs qui constituaient l'aristocratie guerrière et vouaient un culte aux deux sabres qu'ils portaient. Ce fut au XVIIIe siècle, sous le règne des empereurs Tokugawa, pendant la période dite d'Edo considérée comme l'âge d'or parce que le Japon, fermé au monde extérieur, connut une paix de deux cents ans, que le kendo prit son essor. Il y eut alors, écrit Tokitsu Kenji, "une formalisation du mode de vie des guerriers qui devaient apprendre dix-huit arts martiaux. Le sabre devint l'arme quotidienne des guerriers japonais ; ceux-ci ne le quittaient jamais, le laissant même à portée de main pendant leur sommeil. Il est également devenu le symbole du guerrier" (2). Les samouraïs avaient connu la guerre et devaient désormais faire face à cette situation nouvelle tout en conservant leur valeur combative et un sens à leur vie. Edo fut l'époque où parurent de nombreux traités du sabre et diverses théories sur l'esprit du samouraï comme le Hagakure de Yamamoto Jocho (3) .

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L'escrime devint très populaire et, pour qu'elle se pratiquât sans risque au niveau de l'entraînement, les japonais perfectionnèrent un matériel qui avait déjà été mis au point au XVIIe siècle. Cet équipement qui allait permettre un affrontement réel mais sans danger et qui est le même aujourd'hui, se compose de quatre parties protectrices : un casque (men) de tissu épais et grillagé, des gants renforcés (kote), une cuirasse de bambou (do) et un plastron destiné à couvrir les hanches et le bas-ventre (tare). Ces pièces sont nouées sur une veste de toile (gi) et le pantalon traditionnel (hakama). L'arme utilisée, le shinaï, a été inventé au XVIe siècle par Hikida Bungoro et perfectionnée : elle est composée de quatre lames de bambous tenues entre elles par une poignée, un embout et une lanière de cuir. Un fil (tsuru) tendu sur une des lames, matérialise le dos du sabre.

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Bien qu'il s'agisse d'une arme en bois, les Japonais ont été soucieux de reproduire les conditions réelles du combat au sabre. Grâce aux protections, les attaques et frappes pouvaient être portées réellement, mais pour ne pas aboutir à une bastonnade incohérante, elles devaient respecter certaines règles. Les frappes furent limitées à quatre attaques qui seraient mortelles en combat réel : l'attaque au front (men), à la main droite (kote), au flanc (do) et un coup d'estoc dans la gorge ou la poitrine (tsuki). L'attaque devait aussi respecter la règle du kikentai, c'est-à-dire l'hamonie du corps, du sabre et de l'esprit, matérialisée à chaque assaut par le déplacement du corps, le fait d'atteindre l'adversaire avec le premier tiers de la lame (la partie coupante dans un sabre japonais) à l'un des quatre endroits prévus, et le cri qui exprime l'énergie du combattant et lui permet de respirer sous le casque.

Lors de l'ouverture forcée du Japon au reste du monde, à l'époque Meiji (1868-1912), la caste des samouraïs fut supprimée et les arts martiaux méprisés. Les maîtres d'armes virent la possibilité de continuer leur pratique en démocratisant leur enseignement, en le mettant notamment au service de la police et de l'armée nationale qui avait gagné les batailles contre le shogunat. Plusieurs écoles (ryu) existaient jusqu'alors, chacune avec des techniques particulières et secrètes, mais leurs représentants, au sein d'une commission, durent s'harmoniser et jetèrent les bases du kendo moderne. Celui-ci était moins diversifié que ce qui se pratiquait auparavant, et visait plus à perpétuer l'esprit samouraï fondé sur la bravoure, l'énergie et l'action juste qu'à apprendre l'art d'éventrer son adversaire. Cette adaptation fut une réussite : en 1909 fut fondée une fédération universitaire de kendo et en 1928, la Zen Nippon Kendo Renmei (ZNKR) qui allait jouer son rôle dans la diffusion du kendo à l'étranger.

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La rencontre de l'Orient et de l'Occident, en ce domaine, se fit d'abord à travers les récits des voyageurs de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. Ceux-ci décrivirent les combats d'escrime qu'ils purent voir en salle ou lors de fêtes. Il y eut aussi quelques rencontres entre sabreurs occidentaux et japonais : Pierre Loti en décrit un dans Madame Chrysanthème. Un intérêt réciproque se manifesta et la légende veut que des officiers français, en séjour au Japon, aient été initiés au kendo (4) . Les Armes, organe hebdomadaire des salles d'armes et sociétés d'escrime, consacrèrent en tout cas plusieurs articles de 1905 à 1907 à décrire l'ambiance des dojo japonais et le culte que l'on vouait là-bas à leur discipline (5) .

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Malgré cet intérêt, rares sont les démonstrations de kendo faites en Europe avant la dernière guerre, et elles n'auront pas de suite, contrairement à ce qui se passa pour le judo. En 1899, Kano Jigoro, créateur du judo, vint en France présenter son art et celui-ci fut bien accueilli : des Français se rendirent au Japon dès 1910. Il fallut cependant attendre 1935 pour que maître Kawaishi arrive chez nous et fonde véritablement le judo français (6) .

Pendant l'entre-deux guerres, le kendo servit les sentiments nationalistes japonais. Dans un traité de cette époque qui voit la militarisation progressive du Japon et le développement des budo à des fins d'exaltation patriotique, Makino Toru écrivait : "Le kendo est indispensable pour le progrès du peuple et la protection de la nation. Chaque Japonais doit donc étudier le kendo pour la gloire de la nation". La défaite du Japon, en 1945, entraîna une mise en cause de son enseignement : les forces d'occupation américaines interdirent les arts martiaux, dont l'esprit avait été si bien utilisé par les bellicistes nippons.

Il faut attendre cinq ans pour que les écoles rouvrent leurs portes et, tout de suite, se manifesta chez les Japonais le dessein d'exporter leurs disciplines vers l'Occident, et vers l'Europe en particulier. Cette position coïncide avec un regain d'intérêt en France pour la spiritualité orientale et le zen : André Breton, par exemple, découvre les Essais sur le bouddhisme zen de Daisetz Suzuki. Au lendemain de la guerre, l'Extrême-Orient offre un nouvel humanisme et nombreux sont ceux qui s'intéressent alors au judo, à l'aïkido et au karaté dans une optique aussi spirituelle que physique (7) . Cela reste bien souvent livresque, mais les premiers enseignants japonais débarquent et trouvent une clientèle particulièrement réceptive. Le Yoseikan-budo qui était une école de tradition très ancienne ayant pour but d'assurer la formation physique et morale de l'individu par l'enseignement des dix-huit arts martiaux composant le budo, ne recevait pas d'étrangers avant la guerre et avait été fermé par les troupes d'occupation. Vers 1950, il rouvre sa section de judo, puis d'aïkido, et , en 1951, délègue en France pour une mission d'observation Mochizuki Minoru, 8e dan d'aïkido, 6e de judo, 4e de kendo et de karaté, accompagné de maître Hayakawa, 7e dan de judo, pour reprendre contact avec les fédérations de judo européennes et particulèrement avec la Fédération française de judo et de jiu-jitsu reconnue l'année précédente par le Comité National des Sports. Cependant face à l'hostilité de Kawaishi qui voit en lui un rival, Mochizuki se limite durant son séjour à faire connaître l'aïkido. De retour au Japon, il fit au Yoseikan un rapport favorable sur la possibilité d'enseigner les bases de cette école en France.

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Parmis les pratiquants français, il avait particulièrement remarqué un certain Jim Alcheik, né à Istanbul dans les années trente. En 1955, le Yoseikan invita ce jeune homme à venir passer trois ans au Japon à condition qu'il se plie aux règlements de l'école et aux coutumes japonaises. Cette proposition convenait à Alcheik qui venait de tuer accidentellement un voyou en Tunisie. Il travailla donc avec Mochizuki Minoru, à Shizuoka, pendant ces trois années et s'initia à l'aïkido, au judo et au kendo. A la fin de son séjour, en 1958, Alcheik reçut du Yoseikan la délégation générale de cette école en Europe et eut pour mission d'y créer une branche européenne.

Il fonda donc la Fédération française d'aïkido, tai-jutsu et kendo (FFATK) et ouvrit un dojo avenue Parmentier, à Paris, appelé Club Mochizuki, où il diffusa par divers moyens ce qu'il avait appris : par la plume, en rédigeant une série de manuels et en créant une revue Défense pour tous, dont sept numéros paraîtront de 1959 à 1961, complétés d'un numéro spécial sur l'aïkido ; par la pratique surtout en ouvrant des clubs. Le kendo n'occupe pas la première place dans l'enseignement d'Alcheik, mais celui-ci est le premier à l'introduire en France de façon suivie. Il l'enseigne au Club Mochizuki et se fait aider par les experts japonais que le Yoseikan délègue pour le seconder dans sa tâche. Il le fait aussi découvrir à un public plus large que celui des pratiquants en organisant des démonstrations à Paris et en province et en créant un "gala des arts martiaux" à la Salle Wagram, à Paris, le 3 avril 1959.

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Après des démonstrations de judo et karaté, cette manifestation se termine par le premier championnat de France de kendo. On peut supposer, d'après le compte rendu de Défense pour tous, que les participants n'étaient pas très nombreux. Alcheik, supérieur a priori à tout le monde, battit d'abord son élève Cocatre, puis fut battu en finale par Jacques Lévy qui devenait le premier champion de France de kendo. Le 1er avril 1960 eut lieu le second gala et le deuxième championnat de France de kendo, en présence cette fois d'Anton Geesink, champion d'Europe de judo alors et futur champion du monde, et de mille personnes : Nguyen Nam-Van fut le vainqueur. Le kendo commençait donc sa carrière en France, mais, à la fin de 1961, Jim Alcheik, alors 4e dan d'aïkido, 3e de judo et 2e de kendo et de karaté, interrompit son enseignement pour se rendre en Algérie et participer au sein des polices parallèles, les barbouzes, à la lutte contre l'OAS. Il devait mourir dans l'explosion d'une villa algéroise, sans qu'on sache si le responsable de l'attentat fut l'OAS ou le SDECE qui l'employait. Sa disparition allait mettre un terme à la diffusion du kendo. Le premier épisode de son histoire en France était terminé.

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Alcheik n'était cependant pas le seul Français à s'être intéressé au kendo à la fin des années cinquante. Alors qu'il était au Japon, en décembre 1957, maître Murakami, 3e dan de karaté et 2e dan de kendo (8) , avait été envoyé à Paris par le Yoseikan pour préparer sa venue, l'épauler et introduire le karaté. Il trouvait en la personne de Claude Hamot - un judoka - un passionné qui avait déjà demandé au fils de Mochizuki, Hiroo, de l'initier au kendo en 1957. C. Hamot proposait donc à Murakami de donner des cours au siège de la Fédération de judo et du Collège des ceintures noires, boulevard Blanqui. Murakami aura un petit nombre d'élèves : C. Hamot et Bernard Durand, venus du judo, Truong Gnoc, Raymond Cocatre, Jacques Fonfrede et Henri Plée, judoka qui deviendra l'introducteur du karaté en France (9) . Il semble que peu de contacts eurent lieu entre ce groupe et celui de Jim Alcheik lors de son retour en France. Cocatre seul fréquenta ce dernier et Claude Hamot participa à une émission télévisée de Roger Couderc qui essayait de promouvoir la FFATK auprès du grand public.

De 1961 à 1966, ce groupe cessa aussi de pratiquer et le kendo disparut presque totalement, vu le faible niveau technique atteint et le manque de structure. Il semble que Cocatre qui est connu pour être d'abord un karatéka, ait pris la direction du dojo de l'avenue Parmentier et fondé l'école Cocatre. Il y enseignait le kendo et fit des démonstrations régulières lors du "gala annuel des arts martiaux" qui deviendra par la suite la "nuit des arts martiaux" et aura énormément de succès.

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C'est à l'initiative d'Alain Floquet, professeur d'aïkido, élève de Jim Alcheik et fonctionnaire de police, que l'enseignement du kendo allait reprendre en France. A la fin de 1965, un disciple japonais de Mochizuki lui présente Shiga Tadakatsu, 4e dan de kendo et ancien étudiant de l'université Kokushikan de Tokyo. Comme il réside en France avec sa famille, Alain Floquet voit en lui la possibilité de redonner vie au kendo et il lui propose d'enseigner cette discipline dans les clubs où lui-même enseigne l'aïkido, à l'Association sportive de la Police de Paris notamment. Deux autres centres se créent assez rapidement : la MJC de la Poterne des Peupliers, porte d'Orléans, et Juvisy. Des élèves de Murakami comme Claude Hamot et Bernard Durand rejoignent maître Shiga. Dans la Revue des arts martiaux de juin 1967 ; C. Hamot écrit : "A Paris, l'escrime traditionnelle japonaise semble vouloir à nouveau prendre pied. Après plusieurs essais, dont celui du Yoseikan-Renseikan avec maître Murakami, de 1958 à 1962, et celui du Judo-Club Parmentier avec le regretté Jim Alcheik, qui, pour des raisons diverses, n'eurent pas de suite jusqu'à nos jours, quatre clubs parisiens essaient avec la dynamique assistance d'un jeune expert japonais de faire "démarrer" des sections de kendo".

Ce démarrage coïncide avec la mise en place à cette époque, tant au niveau français qu'européen, de structures officielles. En septembre 1966 est créé l'European Kendo Renmei présidé par le comte suédois Robert Von Sandor et dont le secrétaire est Roald M. Knutsen. Plusieurs autres pays d'Europe connaissent aussi le kendo : la Suède, la Belgique, l'Italie et surtout la Grande-Bretagne dont la pratique remonte aux années trente (10) . Coordonner les activités internationales, se tenir au courant de ce qui se fait ailleurs, bénéficier de l'expérience des plus anciens devient une nécessité. Alain Floquet entre donc en relation avec la fédération européenne de Von Sandor et profite de ses conseils pour structurer le kendo en France.

Plusieurs associations voient le jour en 1967. En mars est créée l'Amicale Mochizuki qui regroupe les disciples du maître et souhaite promouvoir son enseignement. Le président est Daniel Zimmermann, le directeur technique du kendo M.F. Chartrain et Shiga occupe le poste de conseiller technique. Le rôle de cette amicale est plus mondain que sportif et n'aura guère d'influence sur le destin du kendo en France.

En 1967 encore est créée la France Kendo Renmei (FKR) dont les membres fondateurs sont MM. Floquet, Hamot, Durand, Martin, Lasselin, Perrier et Petel. Shiga est conseiller technique, mais ne sera pas salarié : il touchera quelques indemnités des clubs dans lesquels il enseigne. En effet, selon les règlements de la fédération japonaise, la Zen Nippon Kendo Renmei (ZNKR), et de l'European Kendo Renmei, et, contrairement à ce qui se passe en judo, aïkido et karaté, l'enseignement du kendo hors du Japon ne doit pas faire l'objet d'un quelconque bénéfice financier. La nouvelle FKR adhère à l'European Kendo Renmei et elle est reconnue par la ZNKR comme la fédération française de kendo. La Revue des arts martiaux lui ouvre ses colonnes et lui apporte son soutien financier pour participer aux rencontres internationales.

Parallèlement à cette nouvelle fédération, deux autres groupes s'intéressent au kendo. L'Ecole Cocatre, dont nous avons déjà parlé, aura quelques rapports avec la FKR et participera à quelques rencontres de celle-ci : elle n'aura guère d'incidence sur le sort du kendo en France. Par contre, la Fédération Française de Kendo (FFK) en aura beaucoup. Fondée en août 1967, son président est Jean-Pierre Niay et son vice-président M. Peyronnel. Cette association, affiliée à la confédération des Arts martiaux, a pour conseiller technique le karatéka Nanbu Yoshinao, champion universitaire de karaté au Japon, invité par Henri Plée pour enrichir la pratique française. De petit niveau en kendo (il est 2e dan), Nanbu eut pour élève J.-P. Niay. Bien qu'elle se propose de former des cadres lors de sa création, la FFK ne semble pas avoir eu une grande activité jusqu'en 1970, date à laquelle nous la retrouverons.

La France Kendo Renmei fut donc de 1967 à 1972 la principale fédération de kendo, celle qui eut la plus grande activité et contribua le plus à son développement. Dès janvier 1967, Shiga commença à agir en faveur du kendo en organisant des stages, faisant des démonstrations et dirigeant les compétitions de la FKR. Cinquante pratiquants participaient ainsi à un stage en novembre 1967, cent soixante-seize autres s'initiaient à l'aïkido, au karaté et au kendo en mars 1968. Le 5 mai de cette même année eut même lieu le premier championnat d'Europe de kendo au gymnase du boulevard Blanqui : vingt-quatre kendokas, représentant six pays (Autriche, Belgique, France, Grande-Bretagne, Hollande et Suisse), s'affrontèrent en présence du président de l'England Kendo Renmei Lidstone, et du président de la FKR, Lasselin. Sept experts et pratiquants japonais résidant en Europe étaient présents et deux cents spectateurs assistèrent aux assauts qui devaient donner la victoire à Bernard Durand, 1e dan, devant Knutsen, 4e dan. Le 2 novembre 1968, les Français se rendirent en Grande-Bretagne, à Coalville, pour participer à une autre rencontre de l'European Kendo Renmei : l'Anglais Victor C. Cook, 2e dan, l'emportait sur B. Durand. Sous la direction de maître Shiga, la France se plaçait très rapidement au niveau européen.

Shiga essayait aussi de toucher la jeunesse et quelques dizaines d'enfants pratiquèrent rapidement cette nouvelle discipline. Le 15 juin 1969, Claude Hamot, nouveau président de la FKR, se félicitait de cet essor du kendo et du fait que le nombre d'engagés retenus pour le troisième tournoi annuel fut le double de celui de l'année précédente, avec quarante personnes. A l'occasion de cette rencontre, un passage de grade eut lieu qui nous donne une indication sur la formation des cadres : l'effectif des yudansha ou gradés français passait à quatre 2e dan et six 1e dan.

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Cette progression assez rapide du kendo en France allait aussi se concrétiser par la participation d'une équipe française au premier championnat du monde de kendo, à Tokyo, le 5 avril 1970. Au cours de l'été 1968, plusieurs officiels japonais en tournée d'inspection dans les dojo de l'étranger, avaient pris contact avec la FKR. En septembre 1969, une autre délégation d'experts de la ZNKR vint mesurer les progrès réalisés et prendre des contacts en vue de la préparation du prochain championnat du monde. En février 1970 encore, un autre délégué, maître Ozawa, vint en Europe et organisa, à Brighton, une réunion des représentants des fédérations européennes afin de fonder l'International Kendo Federation (IKF).

Le 28 mars 1970, l'équipe de France, accompagnée de maître Shiga, s'envolait vers le Japon. Le fascicule édité à l'occasion de ce championnat du monde par la ZNKR donne la composition des équipes des pays participants et indique pour la France : Shiga T., 6e dan, 28 ans ; Claude Hamot, 2e dan, 43 ans ; Jean-Claude Tuvi, 3e kyu, 29 ans ; André Tuvi, 3e kyu, 25 ans ; Alain Floquet, 1er dan, 30 ans ; Gomez, 2e dan, 27 ans ; Pierre Martin, 2e dan, 17 ans ; Bernard Durand, 2e dan, 37 ans ; Clérin, 5e kyu, 30 ans. La présence de 5e kyu (l'équivalent de ceinture jaune en judo) et 3e kyu (ceinture verte), c'est-à-dire de très petit niveau, dans une telle équipe, montre bien que le kendo en était à ses tous débuts en France. Seuls d'ailleurs Shiga, Floquet, Martin et André Tuvi retrouvèrent au Japon Durand et Gomez, capitaines de l'équipe, qui y étaient déjà. Claude Hamot, Jean-Claude Tuvi et Clérin qui devaient partir, ne le purent : le voyage était, à cette époque, à la charge des participants.

L'administration du kendo japonais profita de la présence des équipes étrangères à Tokyo pour jeter les bases de la fédération internationale de kendo (IKF), sous la direction de maître Kimura, président de la ZNKR. Le représentant officiel de la France fut Alain Floquet, assisté de Gomez. Le 5 avril commença la compétition en présence du prince impérial. L'équipe française rencontra d'abord celle des Etats-Unis, composée de Japonais naturalisés, et de haut niveau, et perdit par quatre à un. Au second tour, elle rencontra celle de la République de Chine et s'inclina de nouveau avec le même score. Dans les deux cas, Alain Floquet seul gagna ses combats. Le Japon l'emporta sur la Chine en finale. Les Français qui n'avaient pas plus de chance de gagner en individuels, participèrent aux compétitions d'Osaka. Un passage de grades à l'intention de tous les étrangers présents à ces championnats fut organisé et vit la confirmation des grades des membres de l'équipe de France et la promotion à celui de 1er dan d'André Tuvi.

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Si la France Kendo Renmei remportait sur le plan qualitatif et quantitatif des résultats honorables, tout ne semblait pas fonctionner aussi bien sur le plan administratif, puisqu'à la fin de 1970 une scission éclatait en son sein. Un certain nombre de gradés de la FKR, dont Claude Hamot, et plusieurs jeunes pratiquants quittaient l'organisation de maître Shiga et rejoignaient la Fédération Française de Kendo de Jean-Pierre Niay (11) . Cette organisation, régie par la loi de 1901, avait été mise en sommeil, puisque Jean-Pierre Niay avait rejoint la FKR et figurait au conseil d'administration de celle-ci en 1968-1969. Il est difficile de savoir les raisons pour lesquelles la scission eut lieu, car les témoins de cette époque sont assez réservés sur ce sujet. Il semble que la personnalité de Shiga ait eu un rôle important dans cette affaire, mais il est probable aussi que des questions de politique intérieure et de personnes aient joué. Claude Hamot, en tant que président de la FKR, avait pris des contacts en 1969 pour qu'un autre expert remplace Shiga, et l'arrivée à Paris, en février 1970, d'un jeune pratiquant japonais, Yoshimura Kenichi, 4e dan, qui venait de terminer ses études à la prestigieuse université de Todai et comptait passer une année en France pour son travail, allait conduire les mécontents à franchir le Rubicon.

Cette époque fut fort douloureuse pour les pratiquants de kendo. Il y eut une grande perte d'énergie et d'effectifs, et beaucoup de rancune de part et d'autre car la position de la Zen Nippon Kendo Renmei et de l'European Kendo Renmei ne fut pas nette en cette affaire. Les délégations japonaises de 1970 avaient, semble-t-il, peu apprécié l'enseignement et la personne de Shiga. Sachant que Yoshimura K. devait venir en France, et connaissant sa passion pour le kendo, l'administration japonaise lui avait demandé d'apporter son concours au développement de la pratique française. On imagine combien dut être difficile la position de ce jeune expert, se trouvant en présence d'une situation tendue et d'un conseiller technique japonais plus âgé, plus gradé et officiellement installé à ce poste. Devenir le conseiller technique de la FFK dut être la seule solution possible.

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Il est probable que les dirigeants de la FKR ne s'inquiétèrent pas outre mesure de cette dissidence d'une vingtaine de ses membres et de ce jeune Japonais. La FKR était affiliée à la ZNKR, à l'European Kendo Renmei et à l'International Kendo Federation qui avait bien précisé, en février 1970, que seules les fédérations présentes à Brighton seraient habilitées et qu'"il ne saurait y avoir par la suite d'affiliation de groupes dissidents" (12) . Le 6 juin 1971, la FKR organisait, en présence de maître Kumanda, 7e dan, présenté comme un expert de la ZNKR, son championnat de France annuel avec trente-sept participants : dans le compte rendu publié par la revue Budo en octobre, la FKR dit aussi avoir reçu la visite de quatre délégués de la ZNKR cette année-là, dont MM. Kasahara, Ogawa et Ono. Budo publie dans ce même numéro le compte rendu fait par Yoshimura Kenichi du championnat de France de la FFK, qui eut lieu le 20 juin et vit dix-huit participants s'affronter. La France eut donc deux champions de kendo cette année-là : Pierre Martin, 3e dan, pour la FKR et Bernard Durand, 3e dan, pour la FFK. Cette nouvelle fédération faisait des démonstrations et des stages, mais ces activités ne durent pas troubler la FKR. image

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C'est en novembre 1972 que ses dirigeants découvraient dans la revue Judo quelques brèves informations montrant que la FFK avait gagné sa reconnaissance auprès de la puissante Fédération Française de Judo et Disciplines Associées (FFJDA). C'était depuis le début des années soixante le but de tous les kendokas. Dans le bulletin officiel de la Fédération Française de Judo et Jiu-jitsu et du Collège des Ceintures Noires, Judo, deux textes, dont l'un de Jim Alcheik, montrent qu'en 1961, la FFATK avait réussi à se faire admettre au sein de la FFJDA : le kendo devenait une discipline associée au judo (13) . La mort d'Alcheik avait mis fin à cette association. La FKR avait eu la même ambition et présentait en 1968 un protocole pour intégrer le kendo à la fédération de judo et obtenir la création d'un poste officiel de conseiller technique. La FFJDA étudiait le projet et prêtait d'ores et déjà son dojo fédéral pour permettre un cours de propagande en faveur du kendo. Ce fut donc avec surprise que les membres de la FKR lurent en novembre 1972 qu'une "section kendo" existait à la FFJDA, que Yoshimura Kenichi en était le conseiller technique et qu'il préparait la sélection de l'équipe de France pour les seconds championnats du monde de kendo, prévus à Los Angeles en 1973. Le 27 novembre, le comité directeur de la FKR adressait à la FFJDA une lettre faisant part de sa stupeur ; étaient évoqués les candidats sélectionnés par elle pour participer au championnat d'Europe de Stockholm en 1972 et qui furent évincés sans raison, et ceux qu'elle proposait aux championnats du monde et qui allaient l'être.

La FFJDA était en 1972 un organisme très puissant. Y être admis c'était être reconnu comme la fédération habilitée à donner les grades et les autorisations d'enseigner, et à préparer les rencontres officielles en France et à l'étranger. C'était aussi être considéré comme un interlocuteur valable par le ministère des Sports et bénéficier d'un appui financier non négligeable. Le ministère des Sports ne délègue en effet ses habilitations qu'à des organismes dont l'effectif est important et ce n'étaient pas les quelques centaines de kendokas français qui donnaient cette possibilité. On peut toutefois se demander pourquoi une fédération de judokas semblait si attrayante à des kendokas. A la fin des années cinquante, le Yoseikan délivrait ses licences de kendo sous l'égide de la Fédération française de karaté et de boxe libre. P. Bonet-Maury qui oeuvra pour la reconnaissance du judo et à qui les autorités ministérielles avaient conseillé de créer une section judo au sein de la Fédération de lutte, écrit que "les judokas acceptaient difficilement de voir leurs demandes transmises à la Direction des sports par des lutteurs qui ignoraient tout du judo et les lutteurs eux-mêmes, déjà fort absorbés par leurs propres affaires, ne comprenaient pas pourquoi ils devaient s'occuper en plus d'un autre sport, dépourvu pour eux d'intérêt" (14) . Ces propos sont encore plus vrais pour le kendo qui a moins de rapport avec le judo que celui-ci n'en avait avec la lutte. Il est remarquable que personne ne songea à faire des démarches auprès de la fédération d'escrime. En Italie notamment, la principale fédération de kendo est aujourd'hui affiliée à la fédération d'escrime. Le fait que le kendo ait d'abord intéressé des pratiquants d'aïkido, de karaté et de judo, explique sans doute ce choix et celui-ci a, entre autres conséquences, de ne pas avoir donné au kendo les résultats numériques qu'il escomptait.

En juillet 1972, la revue Judo annonçait l'"officialisation du kendo" et la naissance du Comité National de Kendo (CNK) : "La FFJDA, après avoir pris des contacts au plus haut échelon avec M. Kimura, Président de la Fédération internationale de kendo, M. Kasahara, Secrétaire Général de la Fédération internationale de kendo, M. Robert Von Sandor, Président de l'Union européenne de kendo, a décidé au cours de son Assemblée Générale du 7 mai, de créer une section de kendo officielle et totalement indépendante des fédérations de cet art martial existant actuellement en France".

Ainsi évincée sans qu'elle en soit responsable, il ne restait plus à la France Kendo Renmei qu'à mourir. Elle va prolonger ses activités pendant quelques années encore et surtout essayer de se faire accepter par le nouveau Comité de la FFJDA. Si certains membres de celui-ci comme Claude Hamot se montrèrent traitables, d'autres furent plein de rigueur pour les vaincus. Dans une lettre d'avril 1974 qui aborde la question de l'unification du kendo français sous l'égide du CNK, Alain Floquet rappelle les exigences des vainqueurs et notamment la remise en cause des grades acquis. C'est là une question brûlante qui concerne aussi bien la FKR que la FFK ou le nouveau CNK. Il existe d'abord des grades accordés par les Japonais et délivrés par la ZNKR, ceux qui ont été passés au Japon par exemple en avril 1970, lors des championnats du monde : Alain Floquet, 1er dan, s'est vu confirmé dans son grade, mais il est 3e dan en 1974. Il existe aussi les grades attribués en France : le plus souvent ils le sont par le conseiller technique et par des experts japonais en visite. Le premier passage de grade des dissidents de la FKR eut lieu le jour même de leur "assemblée générale extraordinaire", le 27 novembre 1970 : dans l'ensemble, seuls des kyu furent décernés et il n'y eut que J.-P. Niay pour être nommé 1er dan ce jour-là. Il faut attendre février 1973 pour qu'ait lieu à Paris le premier passage de grade CNK dans le cadre d'une rencontre européenne et sous le contrôle de la FFJDA et des experts japonais Saito, Kikuchi et Yoshimura.

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La FKR allait peu à peu disparaître. Les grades qu'elle décernait n'avait aucune valeur sur le plan national et international. Il lui était impossible de participer à la vie mondiale du kendo et ses membres avaient le sentiment d'avoir été trahis par les fédérations japonaises et européennes qui les avaient d'abord reconnus, puis ignorés. Quelques-uns rejoindront au bout de quelques années le nouveau Comité, mais l'ensemble, désabusé, abandonnera la pratique du kendo. A. Floquet va se consacrer à l'aïkido et fonder l'école d'aïkibudo, Shiga va disparaître totalement du milieu du kendo. En juin 1973, la FKR a trois cent licenciés et le CNK cent (15) . La proportion sera vite inversée. Ainsi finissait la deuxième époque de l'histoire du kendo en France. La troisième, sous l'égide de Yoshimura Kenichi, commençait.

Pour en finir encore davantage avec la FKR, les vainqueurs vont assez rapidement réécrire l'histoire du kendo. Pour beaucoup, celle-ci commence en 1973 et ceux qui reconnaissent qu'elle a pris naissance en 1955, affirment que sa pratique est restée intime jusqu'en 1972. Les brochures actuelles de la FFJDA ne mentionnent pas la participation française aux championnats du monde de 1970. Sur le plan individuel, on assiste aussi à de telles réécritures. Une notice biographique d'André Tuvi parue dans Budo en mars 1972, le présente comme ayant commencé "l'étude du kendo au sein de la FFK, dont le directeur technique est actuellement M. Yoshimura". De Shiga et de la FKR, pas un mot. Cette question de la filiation est assez importante en kendo et dans les arts martiaux extrêmes-orientaux, où la relation de maître à disciple est primordiale. Il est parfois plaisant d'entendre que tel pratiquant est l'élève de tel professeur français et par là, s'inscrit dans une tradition qui le relie à de vieux maîtres japonais réputés, alors qu'il vient de changer de club quelques semaines auparavant. Les gradés actuels, qui le plus souvent, n'ont pas connu l'époque de Shiga, parlent avec mépris de la FKR et de la valeur de ses membres, reprenant à leur compte les querelles du passé et montrant que la plaie n'est pas encore tout à fait fermée.

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Après 1972 et avec Yoshimura Kenichi, le kendo allait connaître au sein du CNK une vie plus paisible et un nouveau souffle qui eurent pour résultat l'augmentation progressive du nombre des pratiquants, la formation de nombreux gradés et enseignants, l'ouverture de clubs et la création de ligues régionales, et surtout la participation des équipes françaises aux rencontres internationales. En 1973, la France participait aux seconds championnats du monde à Los Angeles et se classait cinquième ex aequo, place qu'elle n'avait guère de chance de quitter, puisque figuraient devant elle des pays renommés comme le Japon, la Corée, les Etats-Unis, le Brésil ou le Canada. Le même résultat sera obtenu aux championnats du monde suivants : Milton Reynes (1976), Sapporo (1979), Sâo Paulo (1982), Paris (1985), Séoul (1988). Ceux de 1991 ont lieu à Toronto. La France aura plus de succès au championnat d'Europe. Deux rencontres préparatoires eurent lieu en 1973, avec les Anglais et les Allemands, qui formèrent l'équipe française au championnat d'Europe prévu pour février 1974 et la familiarisèrent notamment avec la technique des deux sabres (nito) utilisée par les Anglais : six pays étaient représentés à Londres et la France se plaça troisième derrière l'Angleterre et la Belgique. En individuels, Jean-Claude Tuvi parvenait en finales et terminait second derrière l'Anglais Todd. Lors des championnats d'Europe suivants, l'équipe française se classait première devant l'Angleterre et l'Italie. Ce score devait être confirmé en 1978 à Chambéry, lors des troisièmes championnats d'Europe : la France gagnait la première place par équipes et en individuels, Jean Lo Piccolo devenait champion d'Europe. Un autre Français, Jean-Claude Girot le sera en 1983, à Chambéry également, et J. Lo Piccolo le sera une nouvelle fois aux championnats suivants, à Bruxelles.

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Cette progression française était due à la passion témoignée par Yoshimura K. et ses élèves. Le jeune conseiller technique entraînait chaque semaine les pratiquants du club dirigé par Claude Hamot à l'Institut National des sports, rue de Lacretelle. A la fin de 1973, Guy Roland qui préparait son professorat de judo dans ce bâtiment, rencontra C. Hamot qui lui proposa d'ouvrir une section de kendo au sein de son association, le Budo XI. Ainsi naissait le second grand club parisien qui allait avoir Yoshimura comme enseignant et obtenir de très brillants résultats. Quatre élèves assistèrent au premier cours : un professeur d'aïkido Jacques Mathieu, un karatéka Jean Lo Piccolo, et deux judokas Michel Guentleur et Guy Roland. En 1975, le Budo XI était champion de France par équipes et gardait le titre en 1976, 1977, 1979 et 1980. En son sein devaient naître pendant longtemps les meilleurs compétiteurs qui allaient à leur tour, dans les années quatre-vingts, fonder d'autres clubs et former de nouveaux pratiquants (16) .

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Cette réussite et celle du club de Claude Hamot, appelé aujourd'hui Cépesja, sont dues au fait que les responsables accueillirent et accueillent encore chaque année des experts japonais de haut niveau, délégués par la ZNKR, à la demande du CNK, pour apporter leurs connaissances aux Français. Il existe au Japon, où il regroupe le plus grand nombre de pratiquants, loin devant le judo ou le karaté, deux grandes écoles de kendo, celle pratiquée à la police où cette discipline est obligatoire, et celle pratiquée à l'Université. Les experts qui viennent en France sont choisis alternativement dans l'un ou l'autre groupe, et chaque maître apporte une façon de faire, insiste sur tel aspect et surtout fait vivre les dojos français à un rythme bien différent de celui des clubs qui les ignorent. En kendo, le modèle est très important et ces professeurs révèlent une attitude, un état d'esprit et des techniques qu'aucun discours ne peut rendre. Ils ne parlent bien souvent que japonais, mais ce qu'ils disent et montrent est compris de chaque pratiquant qui en tire le plus grand bénéfice. Cette présence japonaise empêche aussi les kendokas de s'endormir sur leur acquis et les pousse à progresser sans cesse. A Paris, le pratiquant de petit niveau a le bonheur de pouvoir s'entraîner avec des 7e dan réputés dans leur pays. Cette présence japonaise empêche également de voir naître un kendo à la française qui n'aurait aucun sens et serait probablement une aberration.

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Si Paris bénéficie plus que la province de la présence de ces professeurs japonais, des clubs comme ceux de Lille, Bourges, Saint-Etienne ou de la région parisienne progresseront également. Certains comme le club de Chambéry créé en 1974 par un professeur d'éducation physique du lycée Vaugelas, Jean Beretti, auront de très bons résultats lors des rencontres nationales (17) : en 1978, l'un des membres du dojo de Chambéry, Serge Choirat, est champion de France. Ce fait est dû à ce que le club participe non seulement aux entraînements parisiens, accueille les experts japonais, mais fait aussi venir pour son propre compte de jeunes étudiants japonais séjournant en France qui animent ses cours et ses stages. Les clubs qui maintiennent ainsi un lien direct avec la pratique japonaise progressent et cela se comprend si l'on considère que, malgré ses trente ans de pratique en France, le kendo en est à ses débuts..

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Les drames qui ont marqué son histoire ont, comme nous l'avons vu, découragé nombre de pratiquants et fait perdre l'acquis de plusieurs années de travail. D'autre part, la pratique, notait Claude Hamot en 1988, n'a pas connu l'essor démographique que ses responsables avaient souhaité. En octobre 1974, C. Hamot, président du CNK, disait que le nombre des licenciés était passé de 346 pour l'année 1973 à 600 au mois de mai 1974 (18) . Le CNK intégrera peu après trois disciplines associées : le iaido (art solitaire du sabre), le naginata (la lance) et le jodo (le bâton) qui constituent pratiquement un tiers des licences totales. Nous reproduisons ci-dessous le tableau que nous a aimablement communiqué le CNK : il montre l'évolution du nombre des licences de 1980 à 1990. L'année 1985-86 qui fait suite aux championnats du monde de Paris, marque l'apogée de cette progression. Depuis, le nombre des licences se maintient autour de 1900. Le nombre des pratiquants réels ne doit pas dépasser la moitié de ce chiffre étant donné que beaucoup abandonnent très rapidement et que l'effectif se renouvelle sans cesse. Pour l'année 1989, 881 personnes prirent une première licence et le total de celles-ci a été inférieur à celui de l'année précédente.

Cette situation tient peut-être au kendo lui-même qui est une discipline difficile et exigeante ne correspondant pas toujours à un esprit occidental moderne. Le judo, le karaté ou l'aïkido ont été présentés comme des sports de défense : en kendo, au contraire, l'attaque est privilégiée et cet esprit offensif ne convient pas à tout le monde. Mais, pour suivre cette comparaison avec ces autres sports, le kendo a le mérite de ne pas être réservé à des pratiquants de vingt ans : il n'y a pas chez lui cette distinction entre la pratique en salle et la compétition ; l'entraînement conduit à la compétition qui est un moyen de se situer dans un affrontement plus viril, mais la compétition n'est pas le but ultime ; le CNK tend à favoriser une politique de haut niveau, mais à l'heure actuelle, le kendo ne connaît pas cette division entre une élite surentraînée et la masse des pratiquants. D'autre part, le kendo a l'avantage de conserver une authenticité, tant sur le plan de l'éthique et de la culture japonaises que sur celui de la réalité du combat, qui attire vers lui nombre de judokas déçus par ce qu'est devenue leur propre discipline. Le kendo peut constituer, dans la famille des arts martiaux, une référence et un modèle. L'exemple du judo est au contraire pour bien des kendokas un répulsif, tout le contraire d'une "voie de la souplesse" : il est ce qu'il ne faut pas faire. On trouve chez les Japonais, comme chez les Européens, une volonté de ne pas brader l'authenticité du kendo au profit d'une popularité factice : elle se traduit par une forte résistance à ceux qui envisagent d'en faire une discipline olympique et de lui donner une chance de renommée mondiale (19). Elle se traduit aussi par une opposition à ceux qui veulent vulgariser sa pratique dans un but trop apparemment lucratif, en faisant appel à toutes les techniques médiatiques. A la fin de 1987, une scission s'est produite au sein des kendokas : Jean Lo Piccolo, 5e dan, champion d'Europe, créait sa propre fédération, la Fédération Française de Kendo et Disciplines Associées (FFKen), afin de sortir de l'enfermement que lui opposait le CNK. Malgré sa volonté de diffuser l'image du kendo, il ne semble guère avoir réussi dans son projet (20) .

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Yvon Mautret, qui a succédé en 1979 à Claude Hamot à la direction du CNK, avait alors envisagé d'atteindre les cinq mille licenciés à la fin de son premier mandat en 1984. Ses espoirs ont été déçus et le CNK évolue entre cette aspiration à augmenter les effectifs et la nécessité de respecter cette authenticité du kendo à laquelle sont attachés les pratiquants. Chez ceux-ci, une réflexion, un malaise, voire une opposition existent : en témoignent les revues (Kendo liaisons dans les années 1975-1980, Voix du Kendo qui a plus de vingt numéros de 1980 à 1990, Dragon noir en 1986 et L'Echo des dojo qui est actuellement une revue d'information et de réflexion) (21) . Toutes ces revues sont dues à des initiatives privées, le CNK se contentant, quant à lui, des quelques pages que lui offrent les revues de la Fédération de judo et du Collège des ceintures noires, pour définir sa politique et, le plus souvent, faire connaître sa pratique. En septembre 1986, il a créé Flash Information, une simple feuille donnant quelques renseignements officiels.

La propagande en faveur du kendo a été de tout temps très pauvre. L'annonce des rencontres se fait de bouche à oreille dans les clubs et il est rare de voir une affiche en dehors des gymnases où elles ont lieu. La possibilité de se faire connaître qu'offraient les Championnats du monde, à Paris, en 1985, n'a pas été saisie : les affiches ont été distribuées dans les clubs la veille, afin que les pratiquants les placardent chez leurs commerçants. Le renouvellement continu des effectifs prouve cependant que des hommes et des femmes rencontrent le kendo et aspirent à le pratiquer.

Il semble que, depuis 1984, les reponsables du kendo en France n'aient pas évité un des grands défauts du judo et la cause de son déclin ou de son succès, selon le point de vue auquel on se place : l'établissement des catégories. Cette division permet de multiplier les rencontres et surtout les médailles, et cette multiplication a été, comme le notait un judoka dans un article de Bushido, un "facteur essentiel de la politique fédérale" (22) . Alors que jusqu'en 1984, le championnat de France qui voyait l'affrontement d'une centaine de yudansha, se déroulait en une journée par élimination directe, le CNK instaure, à partir de cette date, des éliminatoires régionaux. Rien ne justifie ce choix car le nombre des licenciés est sensiblement le même qu'auparavant et les combattantss de province et de Paris venaient dans la ville où la rencontre avait lieu. Mais cette réforme fait "gonfler" les activités du kendo en France et donne de l'importance au championnat lui-même, puisque des éliminatoires se sont avérés nécessaires. Le CNK envisage aussi à cette date d'établir un championnat de France masculin et un autre féminin. Là non plus, rien ne justifie pareille mesure : en kendo, ni la force ni le poids ne sont des facteurs décisifs et le nombre des femmes yudansha n'est pas si élevé qu'on doive les séparer des hommes. S'agit-il alors d'un geste de condescendance misogyne envers le sexe faible ? On serait tenté de le croire dans un milieu où les anciens conseillent régulièrement aux femmes de pratiquer le naginata plutôt que le kendo. En fait, il y aura peu d'opposition à cette décision, tout le monde y trouvant avantage : les femmes dont le nombre de yudansha à cette époque n'excède pas la dizaine, parce que cette division leur assure une promotion rapide ; les hommes, parce qu'ils évitent ainsi la possibilité de se faire battre par une femme. On s'oriente ainsi vers un kendo par catégorie et nous savons comment le judo français a franchi toutes ces étapes pour devenir le sport médiatique qui trouve sa place entre le football, le tour de France et le PMU.

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Un article de Jean-Jacques Lavigne, paru en 1988 dans L'Echo des dojo, analysait bien "le sous-développement du kendo en France". Pour lui qui vit au Japon et voit comment la pratique des adultes plonge ses racines dans une importante population enfantine, la cause de ce sous-développement est le manque de jeunes. Si l'ancienne FKR avait fait des efforts du côté des enfants, l'actuel CNK ne semble pas s'être donné les moyens de les toucher. Il n'est que de voir pourtant les qualités de kendokas qui ont commencé très tôt leur apprentissage, comme Olivier Bresset, Philippe Tran ou Fabrice Brunner, pour considérer la valeur de cet enjeu et imaginer ce que pourrait être le kendo en France. Actuellement, la moyenne d'âge des débutants tourne autour de 25-30 ans et la population kendo "s'asphyxie peu à peu par manque de renouvellement venant des classes d'âge les plus jeunes". Certes, une tenue de kendo coûte cher et la famille qui accepte aujourd'hui d'investir dans un costume de ski ou de tennis, hésite encore à équiper un enfant pour lui permettre de faire du kendo. L'exemple d'un professeur de kendo de Saint-Etienne, Joannes Blachon, qui initie plusieurs dizaines d'enfants à l'escrime japonaise, prouve qu'un public enfantin peut être concerné par le kendo en France et se passionner pour ce sport dont la vertue éducative et spirituelle est évidente. Le fait que le dojo prête les armures donne accès à cette discipline et montre qu'avec une politique différente, le CNK pourrait toucher de nouvelles couches de la population. Aujourd'hui où nombre de gradés existent et où nombre d'enseignants ont été formés, il reste à faire naître le kendo en France en l'apportant aux enfants et aux adolescents (23) .

(1) .F. DRAEGER, The Martial Arts and Ways of Japan : volume 3. Modern Bujutsu and Budo, New York, Tokyo, Weatherhill, 1983, p.77.

(2) Kenji Tokitsu, La Voie du karate. Pour une théorie des arts martiaux, Paris, Seuil, 1979, p.121.

(3) Sur le Hagakure, voir le commentaire et les extraits parus dans Mishima, Le Japon et l'éthique samouraï, Paris, Gallimard, 1985. Parmis ces traités accessibles en langues européennes, citons Miyamoto Musashi, Ecrits sur les cinq roues, Paris, Maisonneuve, 1977 ; Daidôji Yuzan, Budo Shoshin Shu, Tokyo, Takeuchi Shoten, 1965 ; Reinhard Kammer, The Way of the Sword. The Tengu-Geijutsu-ron of Chozan Shissai, London, Arcana, 1986.

(4) Voir Revue Judo Kodokan, mai 1963, p. 26. La revue japonaise de kendo, Kendo jidai a consacré dans les numéros 5 et 6 de 1984 un article à la rencontre de Fuller, champion du Pacifique d'escrime, avec le 5e dan de kendo Tokichi. Voir aussi Kendo-Nippon 1985/12 et 1986/1.

(5) Les Armes, 1er et 15 janvier 1906, 15 janvier et 1er février 1907.

(6) Voir Claude Thibault, Un million de judokas, Histoire du judo français, Paris, Albin Michel, 1966.

(7) Voir J.-L. Jazarin, L'Esprit du judo. Entretiens avec mon maître, Paris, Le Pavillon, 1972.

(8) On remarquera le petit niveau de ces grades. 6e dan est aujourd'hui le niveau moyen de l'enseignant au Japon.

(9) Voir C. Hamot, "Toshi, utsuri, hoshi kawari", L'Echo des dojo, n°11, septembre-octobre 1988, p. 10-11.

(10) Voir "Apparition du kendo en Belgique", Voix du kendo, n°7, p. 18 ; "Le kendo en Grande-Bretagne", Voix du kendo, n°9, p. 19 ; "Petite histoire du kendo italien", Voix du kendo n°9, p. 19.

(11) Voir Revue des arts martiaux, n° 15, mai 1971, p. 31 qui donne la liste des dissidents. Pour plus de précisions sur ces deux premières périodes de l'histoire du kendo, voir les articles de C. Aymard et T. L'Aminot, "Les débuts du kendo en France : Jim Alcheik", Voix du kendo, n°15, p. 5 et 11 ; Id "Tadakatsu Shiga", Voix du kendo, n° 16, p. 7-10.

(12) Budo judo Kodokan, février 1970, p. 8. Lors du conseil d'administration de la FKR, le 20 avril 1968, il fut dit qu'"à la suite des correspondances et de la venue à Paris en février du secrétaire de la Fédération Européenne de kendo, la France Kendo Renmei se trouve maintenant parfaitement reconnue par les différents organismes, tant européens, japonais que mondiaux".

(13) Judo, n° 96, 1961, p. 20.

(14) Ce texte de Bonet-Maury qui fut le premier président de la FFJDA est cité dans le livre de C. Thibault, Un million de judokas, p. 42. En 1984, la FFJDA, devenue Fédération Française de Judo et Ju-Jitsu, Kendo-Disciplines associées (FF Judo), publie de nouveaux statuts : elle est administrée par un comité directeur de vingt membres et "en outre un siège supplémentaire est réservé au Président du CNK". Lors de son intronisation à la présidence du CNK, Yvon Mautret affirma que le kendo est plus proche du judo qu'il n'y paraît (Judo, mars 1980, p. 35). Il est certain qu'on peut rattacher la fédération de pétanque à celle du football sous prétexte que les adeptes de ces deux sports utilisent une boule.

(15) Ces chiffres sont donnés par Eugène Crespin dans un article de France Judo, juin 1973, p. 15. Ils ne concordent pas avec ceux de C. Hamot que nous donnons plus loin. Celui-ci, président du CNK, dit dans Karaté, en novembre 1974, que son organisation a 600 membres répartis dans 32 sections. Dans Karatékas, n° 5, en 1975, on parle de 1000 pratiquants dans 10 clubs. En avril 1974, Alain Floquet parle dans une lettre de 500 licenciés de la FKR et de 900 à 1000 du CNK.

(16) Voir M. Guentleur, "Le Budo Club Paris XI", Voix du kendo, n° 7, p. 3 et L'Echo des dojo, n°1, septembre 1987, p. 4.

(17) "Le Chambéry Kendo Club", Voix du kendo, n° 2, p. 4-5.

(18) C. Hamot, "Kendo", Karaté, n° 1, octobre 1974, p. 38.

(19) Voir Kendo-Nippon, 1981/4, dont des extraits ont été traduits et publiés dans Voix du kendo, n° 6, p. 14-15.

(20) Nous avons demandé quelques renseignements à Jean Lo Piccolo sur sa fédération, mais celui-ci ne nous les a pas communiqués.

(21) A cette liste, ajoutons la revue de grande diffusion Bushido qui utilisait le kendo comme exemple d'un art martial authentique et l'opposait aux politiques fédérales du judo et du karaté.

(22) "Revenir aux principes de Kano ?", Bushido, n° 16, février 1985, p. 47. Il va de soi que c'est cette politique fédérale que rejettent et condamnent les kendokas, et non le judo tel qu'il passionne enfants, adolescents et grands qui le pratiquent ou l'enseignent.

(23) Il ne faut pas négliger pour la jeunesse le rôle de la bande dessinée et du cinéma. Déjà les albums de Pierre Delorme, de Cothias et Adamov, de Michets et Bosse les familiarisent avec le monde des samouraïs. Hugo Pratt dans La Jeunesse de Corto Maltese, Roger Leloup dans La fille du vent, et Marcelino Truong et Francis Leroi dans Le Dragon de bambou ont introduit le kendo dans leurs histoires. Quand au cinéma, des Sept samouraïs à Yakuza avec le grand acteur Takakura Ken, le choix est vaste dans la production japonaise et américaine.    


 Article provenant du site Chaken.fr le kendo à Angoulême
 

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