*Premier article français sur le jujitsu paru dans la Revue des deux mondes 1895

8/3/10

Article provenant du site : Kwoon info/ forum martial

Rien que pour le plaisir de la lecture.

Voici le premier article sur la méthode J.Kano paru dans la Revue des deux mondes 1895.
(Lafcadio Hearn* pa M.C. de Variny, « Le Japon inconnu » La revue des deux mondes, LXVè année, 131è volume, septembre-octobre 1895, p. 211 à 226)
Et le lien vers l'article complét.



Des nombreux essais de sa plume originale et infiniment variée, Le plus curieux peut-être, le plus étrange à coup sur, est celui qu’il à consacré à Jiujutsu. Là, semblerait-il, étant donné l’importance qu’il assigne à son sujet et les conséquences qu’il en déduit , il toucherait au point vital, objet de ses recherches passionnées, à la solution du problème qu’il étudie depuis des longues années, solutions qui rendrait compte des étonnants succès du Japon dans sa lutte disproportionnée avec la Chine. Qu'est-ce donc que le Jiujutsu M, et quelle définition donner de ce mot?

Grands amateurs de sport, passionnés pour les luttes d'athlètes qui promènent de ville en ville et de village en village leur haute stature, leur prodigieuse corpulence et leur obèse carrure, les Japonais désignent de ce mot un genre de combat.qui n'offre aucune analogie avec les combats de boxe si fort en honneur en Angleterre et aux Etats-Unis.

Au Japon aussi c'est un art, mais un art différent, et dont la différence se résume dans le mot même de Jiujitsu « Céder pour l'emporter. »Rien ici rien ne rappelle les boxeurs anglais, soumis pendant des mois à un entrainement savamment gradué, exhibant des torses nus que ne recouvre pas une once de chair superflue. Leurs muscles se tendent et se raidissent sous l'épiderme assoupli, l'être animal est amené à son maximum de force physique, de vigueur et d'endurance, d'endurance surtout, car (tans la lutte anglaise la victoire sera au plus résistant, à celui qui, sans faiblir, saura porter et surtout recevoir les coups les plus terribles.

Au Japon, il n'en est pas ainsi. Dans une arène sablée, pour amortir les chutes, deux athlètes sont mis en présence, deux hommes au visage bouffi, aux regards atones, aux membres énormes, et dont les os et les muscles disparaissent sous une couche de graisse. Ils tournent lentement l’un autour de l'autre et quand ils sabordent ce n'est pas pour se frapper, mais pour poser d'un geste familier leurs mains sur les épaules de l’adversaire. Lentement ces mains errent sur le torse nu : les combattants s'enlacent, sans violence apparente; ils se palpent non en ennemis impatiens de se ruer l'un sur l'autre et de se renverser, mais en anatomistes qui cherchent dans cette masse de chaire un point faible qu'il leur importe de découvrir. Leurs doigts s'enfoncent dans cette graisse qui leur dérobe la jointure des os, la contexture du corps. Tout en se palpant, ils se rapprochent, ils s'étreignent, plus soucieux apparemment de ménager leurs forces et d'user celles de leur adversaire que de le jeter bas. On voit, non sans surprise,
un athlète s'abandonner brusquement dans les bras puissants qui s'efforcent de le soulever de terre et qui défaillent sous son poids, pendant que les spectateurs éclatent en applaudissements.

Il s'est volontairement alourdi et, dans l'effort fait, son adversaire a inutilement dépensé des forces que lui-même a réservées. Pas un des mouvements de ces deux hommes qui ne soit le point de mire d'une palpitante et féroce curiosité. Cette lutte, en apparence inoffensive et monotone, ces gestes indécis, à peine ébauches, ces mains lentes qui se promènent sur ces grands corps mous tour à tour attirés et repoussés, mais sans tension de muscles, sans perceptible effort d'en finir, c'est le Juijitsu, l’ « art de céder pour l'emporter ». Le temps s'écoule en feintes, en anatomiques études; le moment décisif approche. L'un des athlètes a cru reconnaître le point faible de son adversaire. S'il ne s'est pas trompé, une brusque, une violente étreinte, une main énorme s'enfonce dans la chair, et d'une habile pression de doigts disloque l'épaule ou brise un tendon et envoie rouler le vaincu tout pantelant dans l'arène. S'il s'est trompé, si dans cet effort puissant mais infructueux il s'est épuisé, sa respiration haletante, son souffle rauque et court indiquent que sous l'étreinte du bras replié de son ennemi la respiration lui manque, que ses côtes craquent sous l'effroyable pression, ou bien une défaillance soudaine révèle que l'un de ses muscles vient de se rompre, ou l'un de ses os de se briser.

Il faut sept années d'études pour former un athlète accompli. Il en est qui connaissent d'infaillibles manipulations, qui tuent un homme par une simple pression de leurs doigts velus, aussi promptement que la foudre. Ceux-là sont professeurs dans les collèges du gouvernement et tenus, par serment et sous les peines les plus sévères, a ne jamais enseigner un coup mortel.

Si nous en croyons maintenant Lafcadio Hearn, le « Jiujutsu » donne la clé de l'histoire du Japon depuis un quart de siècle. Les Japonais ont transporté dans leur politique et leur diplomatie, dans leur armée et leur marine, les procédés du « Jiujutsu » ils ont introduit, dans leurs relations extérieures et dans l'art de la guerre, la tactique qui consiste à « céder pour l'emporter », ce qui revient à dire qu'ils ont étudié en anatomistes patiens et savans l'organisation politique et sociale de l'Europe et surtout l'organisation administrative et militaire de la Chine. Ils ont découvert et noté les points faibles du Céleste Empire. Sur ce grand corps mou, ils ont promené leurs doigts souples. Dans leurs rapports avec l'Europe, ils ont, comme au lendemain de la chute de leur régime féodal, toujours paru céder, acceptant conseils et subissant la pression de ceux qu'ils voulaient se concilier, ouvrant leurs ports, mais refusant aux étrangers le droit d'acquérir une parcelle du sol, adoptant avec un empressement apparent le costume et les idée européennes, mais déposant l'un et répudiant l’ autres aussitôt qu'ils le pouvaient. L'heure venue de la lutte avec la Chine, ils ont, en quelques coups droits, habilement préparés et dextrement portés, jeté bas leur adversaire, puis, affectant de déférer au désir des grandes puissances et n'ignorant pas qu'ils avaient tout à risquer à prolonger une guerre au cours de laquelle cette niasse de 400 millions d'hommes eût fini par avoir raison du Japon, ils ont traité
avec la Chine et affirmé une suprématie que la Chine reconnaît et que l'Europe admet.

La thèse de Lafcadio Hearn est à coup sûr nouvelle. D'aucuns n'y verront peut-être qu'un rapprochement ingénieux; d'autres y trouveront l'explication de faits inexpliqués les rapides succès du Japon, les coups sûrs et prompts portés par ce David au Goliath asiatique, l’habile souplesse avec laquelle, cédant à propos à la pression combinée de la Russie, de la France et de l'Allemagne, le petit empire du Soleil Levant, a eu l'art de se faire pardonner ses succès et de se rallier les sympathies de l'Europe dont il avait déconcerté les calculs.

Par ce qui précède, nos lecteurs pourront se faire une idée de l'oeuvre et du talent de Lafcadio Hearn. Cette œuvre variée et ce souple talent méritent une étude plus approfondie. Ses essais sur les Danseuses japonaises, son Journal d'un maître de l’école, Son marché des morts ses Notes sur Kitzuki, abondent en aperçus originaux et curieux sur les- quels nous aurons sans doute l'occasion de revenir.

C. DE VARIGNY.



*Lafcadio Hearn (1850 – 1904) reste encore – et incontestablement – le plus japonais des auteurs occidentaux. Fils d'un chirurgien de l'armée britannique et d'une grecque, il naît sur l'île de Leucade.
Abandonné par son père, puis par sa mère, il est élevé à Dublin par sa tante. Il perd un oeil à l'âge de treize ans en jouant avec ses camarades. Rejeté par sa famille à l'âge de seize ans, il est livré à lui-même et se rensd à Londres puis à Paris. Il émigre ensuite aux Etats-Unis où il vit misérablement en faisant carrière dans le journalisme.


Il épouse en 1877 une cuisinière métisse mais les mariages mixtes sont alors illégaux. Il est, suite à cela, renvoyé du journal New-Yorkais l'Enquirer et part s'installer à Cincinnati, puis à la Nouvelle-Orléans où il s'intéresse de près à la culture créole.


Il est ensuite envoyé comme correspondant aux Antilles pour le compte du Harper's Monthly. Il y restera deux ans lors desquels il publiera un roman et plusieurs recueils de contes traditionnels créoles.
Invité par l'ambassadeur du Japon avec qui il a tissé des liens d'amitié, Lafcadio Hearn débarque à Yokohama en 1890 et devient correspondant pour la presse anglophone. Il fait alors la rencontre d'un samouraï : Koizumi Setsu, dont il va épouser la fille.
Il prend en 1896 la nationalité japonaise, se convertit au bouddhisme et se fait désormais appeler Koizumi Yakumo (« petite fontaine et huit nuages »).
Épris de la culture traditionnelle japonaise, il va dorénavant consacrer ses écrits à celle-ci , et notamment aux contes fantastiques et autres histoires de fantômes, dont les plus connus sont « Fantômes du japon » et, bien évidemment « Kwaidan ou Histoires et études de choses étranges ».
Hearn, nommé professeur d'université à Tokyo, s'éteindra en 1904, suite à une attaque cardiaque.


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